Réalisateurs : Tom Mix
Acteurs : Tom Mix, Rose Bronson, Ed Brady, John Maloney, Fay Robinson, Mort Thompson
Synopsis :
Dans l'Ouest sauvage, Nell, la femme de Tom, aspire à retourner à la vie de la grande ville. Slippery Jim lui offre un moyen d'y parvenir - et elle emmène avec elle la petite fille du couple. Tom reverra-t-il un jour son enfant ?
Bonus :
Commentaires :
A Child of the prairie
Pour qui s’y est intéressé un jour, l’exploration du cinéma muet suscite des sentiments fort différents de ceux provoqués par l’intérêt que l’on porte au cinéma parlant. Si l’enthousiasme et l’émerveillement sont au programme de l’une ou de l’autre activité cinéphilique, la première y adjoint quant à elle des ressentis d’une toute autre nature, que sont par exemple la frustration mêlée de regrets, mais aussi la stimulation que provoque l’enquête spéculative. Bien entendu, et vous l’avez bien compris, la frustration que j’évoque n’est pas celle que peut provoquer l’absence de sonorisation – encore que ce soit souvent cet aspect-là qui rebute les curieux ; à ce sujet, et afin de le relativiser, je citerais un ami pas du tout cinéphile mais très adepte de jeux vidéo, et qui m’a déclaré un jour : « Le cinéma ? Mais ça n’a aucun intérêt, il n’y a aucune interactivité ! ». Si vous trouvez que ce propos est tout simplement idiot, eh bien vous avez absolument tort, et votre horizon cinématographique à toutes les chances de rester borné ; mais si vous trouvez qu’il donne malgré tout à réfléchir, alors l’éventualité qu’un film puisse être muet vous posera sans doute moins de problèmes de principe. Fin de la parenthèse ; pour en revenir à cette frustration, qui se mue parfois en tristesse, il s’agit de celle engendrée par le fait que le cinéma muet est en grande partie perdu : on estime ainsi que seuls 10 à 20 % des œuvres antérieures à 1930 ont survécu. La raison principale est due au caractère très inflammable du nitrate de cellulose, utilisé pour les pellicules jusqu’en 1951 ; des incendies ont ainsi détruit les archives de la Fox Films en juillet 1937, puis de la MGM en 1965. Une autre cause de cette disparition massive des œuvres muettes conjugue l’avènement du parlant avec la complète industrialisation dans les années 20 du système de production hollywoodien : aussitôt supplantées par les technologies sonores, les anciennes productions muettes ne furent dès lors plus considérées par certains studios que comme de simples produits périmés, ainsi on n’hésita pas à en jeter les bobines à la poubelle pour faire de la place dans les espaces de stockage. Quant à l’enquête spéculative, qui peut prendre la tournure d’un vrai jeu de piste, elle est liée au fait que dans bien des cas, le statut de survie d’un film ne se résume pas à un positionnement binaire du type « perdu / retrouvé ». Il y a deux raisons principales à cela. La première est que nous ne connaissons pas précisément ce que contiennent certaines collections privées, ni même publiques : il se dit par exemple que les archives des cinémathèques danoises et tchèques recèleraient des trésors insoupçonnés ; je serais ravi d’apprendre un jour que cette légende est véridique, et d’en voir quelque chose de tangible. La seconde est qu’un certain nombre de films n’ont été retrouvés que partiellement, et les cinéphiles connaissent tous des exemples prestigieux de ces films incomplets. Mais puisque dans le cadre de ce cycle nous nous intéressons plus modestement à Tom Mix, citons par exemple de cas « North of Hudson bay », je j’avais proposé il y a peu et dont il manquait la dernière bobine. Mais il existe en fait une troisième raison à incertitude, plus complexe et liée aux particularités de l’économie du cinéma dans les années 1910-1920 : certains films disparus peuvent ressurgir sous une forme alternative, dans laquelle il peut s’avérer difficile de discerner les contours exacts de l’œuvre originale. C’est une problématique que j’avais déjà évoquée par exemple à propos de « The Aryan » avec William S. Hart ; et c’est celle qui va caractériser le film d’aujourd’hui, dont il me faut avouer qu’il est beaucoup plus anecdotique que celui de Hart en ce qui concerne ses qualités intrinsèques, mais dont l’enquête d’identification pose bien plus de questions qu’elle n’apporte de réponses, tout au moins pour le simple cinéphile amateur que je suis.
J’ai évoqué à plusieurs reprises déjà, à propos des courts-métrages de Tom Mix ou de William S. Hart, les pratiques commerciales douteuses de certaines compagnies de production de la seconde moitié des années 1910 (la Selig Polyscope pour Mix, la Kay-Bee/Triangle pour Hart) qui visaient à exploiter à nouveau ces films quelques années plus tard sous un nouveau titre, le plus souvent après les avoir revendus à d’autres sociétés de distribution (pour rappel, la séparation entre les activités de production et de distribution n’est pas une évidence à l’époque, et ne commencera à être envisagée qu’en 1921). Cela explique la multiplicité des titres - parfois trois ou quatre - sous lesquels sont connus certains de ces films à une ou deux bobines, et dont les ressorties s’accompagnaient souvent d’un remontage et d’un nouvel intertitrage. Les raisons de ces bricolages suspects sont ambigües : dans le cas de Hart par exemple, elles traduisent de manière évidente le succès que continuaient à avoir auprès du public des années 20 ces courts-métrages tournées 7 ou 8 ans auparavant ; mais la pratique du retitrage indique de façon tout aussi claire la volonté de prendre les spectateurs pour des gogos, en leur vendant de l’occasion pour du neuf. Le cas du film de ce mercredi, « A child of the prairie », illustre parfaitement la tournure assez compliquée que peuvent prendre les investigations sur le sujet, d’autant que l’absence d’informations fiables sur l’œuvre suscite davantage de conjectures que de réponses claires. Ainsi trouve-t-on mention de 4 films muets ayant pour titre « A child of the prairie » ou « The child of the prairie », respectivement datés de 1910, 1913, 1915 et fin 1925. Passons sur le court-métrage de 1910, mentionné sur imdb comme une production de la Carlson Film Company, et donc sans rapport avec Tom Mix. Le film que je vous propose est celui de 1925, mais il est à peu près certain que les plans qui le composent datent de la décennie précédente, et proviennent donc des courts-métrages que Tom Mix tournait à l’époque pour la Selig Polyscope Company. Or cette dernière fut, à la fin des années 1910, en proie à de graves problèmes financiers, et cessa définitivement la production de films à partir de 1918 ; cela explique notamment le départ de Tom Mix pour la Fox. La Selig continua cependant d’exister en tant que société, poursuivant en particulier l’exploitation de son zoo ; mais elle s’efforça également de rentabiliser au maximum ses productions cinématographiques de la décennie précédente, en revendant notamment ses films à la société de distribution Exclusive Features, laquelle ressortit donc les Tom Mix de la Selig en procédant au passage à ces tripatouillages douteux que j’évoquais plus haut : nous avions déjà vu cela à propos de « The heart of Texas Ryan ». Concernant « A child of the prairie », Robert S. Birchard mentionne dans sa monographie consacrée à l’acteur deux films à deux bobines (une seule selon d’autres sources) répondant à ce titre, tournés par Mix pour la Selig en 1913 et 1915. Tout va bien jusque-là, il s’agirait donc de la ressortie d’un de ces deux courts-métrages ; mais il se pose néanmoins la question de savoir lequel des deux, et, surtout : comment se fait-il que de deux bobines, on soit passé à un long-métrage de 5 bobines ? Et là, je vous assure qu’il y a de quoi flanquer mal au crâne même à Sherlock Holmes.
De la part d’Exclusive Features, la tentative d’enfumage paraît évidente de prime abord. En effet, les nouveaux intertitres de 1925 présentent le casting au fur et à mesure que les personnages sont introduits dans l’intrigue, comme cela se faisait couramment à l’époque ; or les noms de comédiens qui apparaissent sont totalement inconnus, hormis celui de Tom Mix bien évidemment, et peut-être celui d’Ed Brady dans le rôle du méchant (mais l’image est tronquée sur ma copie, on ne peut pas lire…). Selon la logique financière que j’évoquais plus haut, la compagnie aurait donc voulu faire croire à la sortie d’un film inédit ; oui mais alors, pourquoi avoir conservé le titre originel ? Première curiosité. Une autre question me semble quant à elle pouvoir trouver une réponse à peu près certaine : de quel court-métrage de la Selig ce film est-il une ressortie déguisée, celui de 1913 ou celui de 1915 ? Il s’agit de toute évidence de celui de 1915 ; on peut l’affirmer en se basant sur les synopsis donnés par la revue d’époque « Moving Picture World », et que l’on trouve sur le site imdb : l’histoire que donne à voir le film de 1925 (écrite semble-t-il par Tom Mix lui-même) est beaucoup plus semblable à sa variante de 1915 qu’à celle qui l’avait précédée. On peut d’ailleurs s’interroger sur les raisons qui ont poussé la Selig à refaire le film à deux ans d’intervalle : la version de 1913 fut-elle considérée comme ratée ? On notera que c’est Mix qui réalise la seconde, alors que le metteur en scène de la première était William Duncan ; peut-être que notre fougueux cow-boy, ayant accédé entre temps à sa propre unité de production au sein de la Selig, a-t-il décidé de prendre en main l’adaptation de son script, faisant cette fois-ci figurer Louella Maxam (habituée des courts-métrages de Mix) dans un double rôle, ainsi que la propre fille de l’actrice. Reste maintenant l’interrogation principale concernant « A child of the prairie » : comment ce film a-t-il pu passer de deux bobines en 1915 à cinq bobines en 1925 ? Concernant la première réponse qui vient à l’esprit, on en revient aux pratiques douteuses d’Exclusive Features, qui n’hésitait pas à fabriquer un western de Tom Mix à partir de plusieurs autres ; ce genre d’opération osée était par ailleurs facilitée par la relative stabilité des castings de ces courts-métrages de la Selig : Louella Maxam en est un exemple. Le début du film donne un crédit certain à cette hypothèse : il y est question d’une concession minière que le méchant cherche à subtiliser ; or cet élément scénaristique est absent du script originel. Et l’AFI mentionne effectivement l’ajout d’un « film non identifié » aux éléments de la version de 1915 pour composer celle de 1925 ; soit dit en passant, cette identification devrait être possible étant donné qu’à défaut des œuvres elles-mêmes (plus de 200 courts-métrages), on doit disposer tout au moins des scripts qui ont certainement dus être conservés. Mais cela ne résout pas pour autant le mystère, car ces scènes expliquent au mieux l’adjonction d’une bobine ; or si le film de 1915 était effectivement constitué de deux bobines, il en reste donc deux autres dont la provenance pose encore question, puisque le reste de l’histoire correspond stricto sensu au scénario originel. Or il semble raisonnable d’éliminer d’emblée l’hypothèse du tournage de scènes additionnelles : par qui ? dans quel studio ? Et en 1925, Tom Mix était de toute manière en contrat chez William Fox, chez qui il avait déjà fort à faire ; d’autre part le type de mise en scène très statique de « A child of the prairie » évoque indubitablement le style des années 1910, pas du tout de la décennie suivante : élémentaire, mon cher Watson !
Il reste une dernière hypothèse, qui paraît improbable a priori, mais qu’il faut de toute façon évoquer histoire de se dire que l’on a vraiment tout envisagé : le film de 1915 aurait été initialement un long-métrage, et par conséquence soit ceux qui affirment qu’il s’agit d’un court-métrage se trompent, soit le film aurait été volontairement raccourci par la Selig à sa sortie (mais pourquoi donc ?). On peut remarquer que si les différentes sources évoquent majoritairement une longueur de deux bobines pour les films de 1913 et 1915, cette information ne fait pas non plus l’unanimité : par exemple silentera indique (mais sans certitude) que la version de 1913 n’aurait comporté qu’une seule bobine à laquelle on aurait rajouté une seconde pour une ressortie en 1915. Or imdb de son côté fait état de castings différents pour les deux films, ce qui exclut l’idée d’une ressortie ; plus troublant encore, le même imdb indique une longueur de 63 minutes pour la version de 1915, ce qui correspond peu ou prou à la durée de la version d’Exclusive Features. Mais il convient de se méfier d’imdb… Tout ceci doit pourtant être vérifiable : la Bibliothèque du Congrès possède dans ses archives une copie 35 mm (en mauvais état semble-t-il), et certaines collections privées détiendraient en outre des réductions 16 mm ; l’énigme sera peut-être résolue dès lors qu’un professionnel aura l’envie et le privilège de pouvoir d’aller jeter un œil sur ces vieilleries. Pour ma part, un élément subjectif me fait penser que l’hypothèse d’un long-métrage en 1915 n’est peut-être pas tout à fait farfelue : comme vous pourrez le constater vous-même, le visionnage de « A child of the prairie » dévoile un film dont la narration reste globalement très cohérente, hormis cette histoire de concession minière dans la première partie qui semble collée artificiellement. Pour le reste, il s’agit d’une classique histoire vengeance qui se suit de manière relativement fluide, alors même que les ressorties par Exclusive Features des films de Mix rachetés à la Selig s’accompagnaient souvent d’un remontage très chaotique qui pouvait défigurer totalement l’œuvre, comme c’était le cas sur « The heart of Texas Ryan » que j’avais proposé il y a quelques semaines : ce n’est pas le cas ici, et cela reste assez troublant. Il est vrai qu’au regard de l’histoire du cinéma, cette petite énigme n’a guère d’importance, car il faut avouer que les qualités cinématographiques de « A child of the prairie » sont tout à fait minces, ce qui explique sans doute qu’on ne se soit pas précipité pour aller enquêter sur le sujet. Comme je l’évoquais plus haut, le film est étonnamment statique, ce qui n’est guère dans les habitudes de notre cowboy virevoltant : une seule et courte scène d’action pour un total de cinq bobines, dans des extérieurs assez quelconques, bref il y a de quoi faire bailler même le spectateur le plus enthousiaste, et cela d’autant plus que l’histoire ne recèle guère de surprises. Au vu de cela, peut-être qu’en fin de compte la Selig avait effectivement décidé de ratatiner le film à deux bobines…
Le thème de ce post étant en quelque sorte « les films (de Tom Mix en l’occurrence) dont on peine à pouvoir considérer qu’ils existent encore », en voici un autre en guise de bonus, qui s’insère en effet dans cette problématique mais dans une modalité très différente. « Hearts and saddles » est un court-métrage à deux bobines dont l’intérêt principal est d’être le tout premier que Mix tourna dans le cadre de son nouveau contrat signé au début de 1917 avec William Fox : il montre en particulier qu’il y a eu à cette occasion une continuité évidente avec ce que l’acteur réalisait encore un mois auparavant pour la Selig. Le film donne dans une veine comique que nous avons rencontrée à plusieurs reprises dans les courts-métrages de Mix, avec ici un côté franchement burlesque, le tout agrémenté de quelques-unes de ces cascades qu’affectionnaient l’acteur et son équipe issue des Wild West shows. Nous sommes donc ici aux antipodes du sérieux compassé de William S. Hart, lequel s’était efforcé de créer un genre noble : Tom Mix dynamite allègrement la tentative de Hart, et l’on voit bien ici que le western peine encore à la fin des années 1910 à trouver sa marque propre au sein de divers genres cinématographiques alors en pleine éclosion. Mais pour en revenir au propos qui nous occupe ici, « Hearts ans saddles » est une œuvre sinistrée car une seule bobine nous en est parvenue ; or ce qui est tout à fait singulier dans le cas présent, c’est que la partie de film perdue ne concerne ni la première bobine en particulier, ni la seconde, mais un peu des deux… En effet, aussi curieux que cela puisse paraitre, les dix minutes restantes sont constituées de morceaux épars dont on espère juste qu’ils ont été montés dans le bon ordre ; mais après tout peu importe, car le résultat s’avère de toute manière totalement incohérent, ce qui d’ailleurs ne fait qu’en rajouter à la dinguerie ambiante du film. Celui-ci reste donc à appréhender comme une petite pièce surréaliste, certes très anecdotique mais pas déplaisante non plus. Quant à savoir si dans un tel état des choses, il est pertinent ou pas de considérer que « Hearts and saddles » fait partie ou non de cette masse considérable de films muets perdus à jamais, vous aurez maintenant tous les éléments pour pouvoir éventuellement y répondre.
HEARTS AND SADDLES (1917)
Court métrage 8 min VOSTFR
1fichier
Pour ces deux films naufragés, j’ai effectué le sous-titrage par traduction directe des intertitres en anglais, après avoir fabriqué les timecodes tout seul comme un grand. Les adeptes de HD 1080p ultra-restaurés devront passer leur chemin s’ils ne veulent pas risquer la crise d’apoplexie : la qualité vidéo du fichier de « A child of the prairie » est franchement déplorable, et c’est à peine mieux pour le court-métrage. Il n’y a même pas d’accompagnement musical sur le long-métrage. Et en plus, figurez-vous que les acteurs remuent les lèvres sans jamais rien prononcer ! Faudrait pas que mon pote adepte de jeux vidéo interactifs voit un truc pareil, sinon il va arrêter de m’inviter de temps à autre pour l’apéro.
Un partage et une traduction de Unheimlich
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